Dans la rue des Abbesses, a deux pas de la butte
Quand le soleil s’est effacé
Je file à cette adresse où j’ai mes habitudes
M’asseoir sur un grand tabouret
L’enseigne lumineuse pose le décor
CHEZ RAMON, en majuscules
En vérité faut lire Raymond parce que dehors
Les lettres pas toujours elles s’allument
Chez Raymond ça sent la ruine et le baltringue
Le Viandox et la fin de droit
On y crèche à l’année avachi sur le zinc
Et sur les tables en formica
Vieux et avortons tapent le carton
Sur fond de triche et d’engueulade
Le blues parisien de ceux qu’ont plus rien
Résonne au fond de la salle
Prince de Pigalle au regard d’opale
Raymond fut un grand séducteur
Pour ses beau talents, bénévolement
Les dames lui offraient leur cœur
Les dames ont vieilli, Raymond aussi
Et planqué derrière son comptoir
L’œil plein de malice il veille en coulisse
Sur cette cour des miracles
Musiciens de rues, poètes perdus
Ont trouvé dans cette auberge
Un père, un frangin, le cœur sur la main
Qui dans son antre protège
Ceux que le destin a mis dans un coin
Ne sachant pas quoi en faire
Les laissés pour compte
Rongés par la honte
D’avoir l’homme pour frère
Au petit matin le néon s’éteint
Et rend l’homme à sa misère
Raymond ferme à clé le petit troquet
Et baisse le rideau de fer
Relevant le col, la démarche molle
Chacun regagne sa place
Couloirs de métro et tristes bureaux
Sont rejoints de guerre lasse
Quand Paris s’éveille, Raymond et merveille
C’est le prénom de son chien
Quittent les Abbesses pour la ville en liesse
Mais ne partent pas bien loin
Car le soir venu, c’est la cohue
Devant les portes on se presse
Pour tuer le temps, passer un moment
Près de Raymond des Abbesses