Chez Jeannine

Chez Jeannine au bar de la civette
A sept heures du matin on pose son paletot
Et son cul bien au fond d’la banquette
Ou sur une chaise en paille, devant un café chaud
Un jus, serré, bien fort, à réveiller les morts
Ou t’rappeler qu’t’es vivant
Un kawa chicorée bien brûlant
Servi à la casserole dans un vieux mazagran
Chez Jeannine, ça cause toujours fort
Mais c’est jamais d’accord, finalement à quoi bon ?
Y’a Moko, y’a Roubzi et Totor dont on ignore encore
D’où viennent leurs surnoms
Au bout du comptoir en formica, rouge et jaune il y a
Accoudé à perpète
Le père Jules, un peu désespéré
Qui toute la journée écluse sa retraite
Sur les vieilles étagères fatiguées
Des bouteilles oubliées d’alcools d’un autre temps
Des articles de journaux découpés à côté des trophées
De footeux sans argent
Près du distributeur de cahuètes qui contre une piécette
Livre son contenu
Des oeufs durs dans un truc en inox
Une bouteille de Viandox et des objets perdus
Dans un coin du troquet vieillissant
L’babyfoot à un franc garde le souvenir
Du temps béni de nos quinze ans
Et de nos voix muantes d’hommes en devenir
Il en a soupé l’Bonzini des gamelles, des Fanny
Des demis, des pissettes
Mis au clou et tombé dans l’oubli
Les mômes d’aujourd’hui le toisent d’un air bête
Dans ce théâtre des glorieuses
On se la coule heureuse sans demander son reste
La déco est kitch et tant mieux
Ça rassure les vieux lorsque le temps s’arrête
Peu de dames chaussées Louboutin
Ont foulé ce lieu saint pourtant si accueillant
La tomette eut plus souvent l’honneur
Des bottes de chasseurs et des souliers d’enfants
A soixante huit balais bien tassés
Jeannine va jeter l’éponge tristement
On ne donne pas cher du troquet
Des banquettes élimées et des vieux mazagrans
Au pire on va tomber la vitrine, l’enseigne chez Jeannine
Et la porte à sonnette
Aux enchères le bab et les chopines
Le père Jules et son spleen en maison de retraite

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